LP | 1. Elena Barkley : Expérience

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malencontreusement

Elena était un peu tendue en cette fin d'après-midi. Elle avait beau être sûre d'elle, et essayer d'avoir l'air aussi calme que possible, elle ne pouvait s'empêcher d'appréhender un peu ce premier cours avec un dénommé James Henderson. En réalité, elle avait secrètement eut l'envie de faire un cours avec lui depuis qu'elle l'avait vu monter son magnifique étalon dans cette même carrière. Quoi que c'était assez étrange puisque cet étalon semblait uriner comme une jument. Enfin, là n'était pas la question. Ce que cet homme avait fait sur son cheval l'avait laissé admirative, tant de finesse et un si beau résultat... cela l'avait fait rêvé au début. Elle avait beau avoir une très bonne complicité avec sa jument, elle n'avait jamais sû faire des miracles en dressage.

Son envie s'était finalement concrétisée après ses derniers cours pris avec Steven. Elle commençait à en avoir un peu marre de ses cours, où certes elle s'amusait, mais elle n'apprenait pas grand chose. Il s'agissait généralement de cours collectifs, ce qui allait sûrement plus vite que plusieurs cours individuels. Apparemment le directeur/moniteur avait décidé de la zapper, si bien qu'en un cours elle n'avait eu droit qu'à un "tu devrais te ressangler, son tapis se barre". A côté de ça, elle s'amusait comme une folle pendant ses interminables balades avec Nirvana. Au début, elle avait comme idée de s'en contenter, mais au fil du temps elle avait l'impression d'avoir les épaules trop en avant, les talons pas assez baissés... des détails de base, dont elle n'avait aucune certitude. Mais elle ne voulait pas se mettre à monter n'importe comment, et la monte de cet homme lui avait donné envie d'aller plus loin, de réussir de nouvelles choses.

Elle était donc allée en parler à Steven, comme elle avait toujours fait quand elle avait un problème à régler, et comme tous les cavaliers faisaient d'ailleurs. Elle avait dit qu'elle aimerait un peu plus de conseils concernant sa monte... mais, très intelligemment, il avait pris la mouche. Elle avait tenté de se rattraper, mais elle avait la forte impression de l'avoir vexé. En fait elle commençait à en avoir marre de ces sautes d'humeur. Finalement, le directeur avait répliqué qu'elle pouvait prendre des cours avec James, qui la ferait sûrement beaucoup progressé. Ce qu'elle s'était empressée de faire, malgré toutes les recommandations de certains cavaliers. Il paraissait que James était "pas sympa du tout" pendant ses cours, mais elle n'en avait que faire : elle voulait se faire sa propre opinion.

Lena arriva donc dans ce carré de dressage, un peu tendue tout de même, à cause des rumeurs qui circulaient autour de ce personnage. Elle avait beau être peu influençable, elle n'était pas non plus masochiste et se posait quelques questions. Lorsqu'elle arriva pile à l'heure, elle vit l'homme jouer avec un chien, qui ne resta pas longtemps là et alla se poster derrière la lice de la carrière. Elle croisa alors le regard de l'homme au visage sévère. Loin de se décontracter, elle songea que sa réputation était peut-être due à ce qu'il dégageait rien qu'en le regardant. Pas qu'il faisait peur, mais... si, il fallait bien l'avouer tout de même.

La jeune fille fit marcher sa jument rênes longues. Elle ne savait pas trop combien de temps il fallait qu'elle reste ainsi, elle avait bien fait marcher Nirvana pendant un quart d'heure, le temps du trajet du Dos d'Ane jusqu'ici. Seulement, elle ne savait pas vraiment si ça comptait puisqu'elle avait fait ce trajet en licol et à cru, pour seller sa monture aux écuries. Le silence ne l'aidait d'ailleurs pas trop, et la rendait plutôt mal à l'aise. Heureusement, sa jument elle, n'était pas du tout stressée, et marchait calmement, la tête basse, agitant la queue de temps à autre pour chasser quelques insectes. Elena respira profondément, elle était ici pour apprendre, pour faire quelque chose de bon et pour cela, elle allait devoir se détendre. Elle jeta un coup d'oeil vers le ciel, les quelques nuages de beau temps se teintaient d'une couleur violacée tandis que le soleil disparaissait à l'horizon. Le simple fait de voir ce coucher de soleil l'apaisait un peu. Alors le silence fut brisé par James, qui questionna la jeune fille quant au niveau de dressage de sa jument.

" - Heu, je dirais qu'elle a les bases. Elle est assez souple mais elle n'a jamais appris de grandes figures. Pour l'instant, elle s'incurve bien, elle connait les cessions à la jambe, les déplacements des hanches... On a essayé de travailler l'épaule en dedans avec Steven, mais ça n'a pas vraiment marché. "

Le couple se mit au petit trot, Nirvana releva la tête et trotta calmement dans tous les sens, de ses foulées rases mais confortables. La cavalière commença à remonter lentement sur ses rênes, sous les conseils de l'homme. Elle se mit sur un cercle en A, de 20 mètres... elle se rappelait des repères avec les lettres, et pourtant ça remontait à bien longtemps. Généralement avec Steven, c'était plutôt 'faites un cercle de la lettre A jusqu'à ici...' Le trot de Nirvana était bien régulier et cadencé, elle se plaçait sommairement toute seule, cependant toujours avec le nez un peu en l'air.

Au bout d'un certain temps, Elena dut faire repasser sa jument au pas sous les ordres de James. Elle redressa ses épaules, et sa monture revint au pas, qui se fit peu actif. Elle regarda alors son moniteur, tentant de deviner sur son visage sa première impression, mais en vain. A présent elle était plus détendue et en confiance, pourtant elle se demandait comment allait se dérouler la suite du cours... elle était surtout inquiète de passer pour une inculte si jamais il employait un vocabulaire un peu trop technique... après tout, ses réels cours de dressage remontaient à bien longtemps, et elle n'y avait jamais appris beaucoup de termes spécifiques.

Tout en observant sous la lumière tamisée de la piste les mouvements de Nirvana, James acquiesça promptement de la tête. Maintenant que la jument était revenue au pas, l'instructeur eut l'occasion de constater que ses sabots faisaient traîner la sciure humide du revêtement et tenait sa tête assez baisse, l'encolure piquant vers le bas. Certes, il pouvait assurer que ce cheval-ci était un brave et calme, disons posé. Cependant, James était le premier à savoir que cela cachait parfois bien des défauts, voire des vices : le tout était d'apprendre à connaître sa monture en toutes circonstances pour pouvoir mieux comprendre son mécanisme, s'adapter à celui-ci selon les occasions et même d'utiliser ses propres manies pour qu'elles se retournent contre le problème. Qui a dit que l'équitation n'était pas un sport ? Il l'est car c'est lui le plus artistique, celui où l'on doit prendre conscience non pas seulement de son propre corps, mais à la fois celui de son cheval.

Cheval, mon beau souci...

James, qui avait encore fait plâner le silence quelques instants, se redécida à le rompre. C'était un homme qui, même s'il ne le paraissait pas, était un grand bavard sur les sujets qui le passionnent ; comme le dressage lui tenait fortement à coeur, il aimait en parler, raconter comme cette discipline était trop peu appréciée malgré tous les merveilles qui en découlaient. Peut-être est-ce justement cette subtilité que le monde méprisait.
Tout en lui redemandant un cercle de vingt mètres en C, il réclama calmement davantage d'énergie dans le pas de la jument en agissant alternativement avec les jambes, certes, mais en aidant la petite jument également en accompagnant du bassin.

Un cheval actif est un cheval à l'écoute de son cavalier. Il faut avoir une allure vibrante et cadencée tout en cherchant vers la décontraction la plus totale, en bouche y compris. Quand on essaie de le relaxer, le cercle est ton meilleur atout : il sollicite l'incurvation, assouplit également, et aide énormément le cheval à trouver sa musique. Cependant, il faut être raisonnable dans le diamètre qu'on choisit : cela ne sert à rien de vouloir démarrer par un tout petit cercle, surtout pour un cheval peu souple. Il ne sert à rien de contraindre un cheval pour effectuer un exercice : le tout est de l'inviter à le faire pour gagner de la complicité et de l'ampleur au geste.
Essaie de décontracter sa bouche et sa nuque en pianotant sur ta rêne intérieure, tout en gardant bien ta rêne extérieure tendue pour ne pas qu'elle ne fuie dehors.

Il accordait énormément d'importance à la simple allure du pas. Douce, lente, on pouvait mieux y décomposer l'allure et ses propres gestes. Cette lenteur est celle dont le couple nécessite pour expérimenter, pour essayer de nouveaux exercices, pour donner le temps au cheval et au cavalier de comprendre le but et ce qui ne convenait pas. Pourtant, on passait de trop par-dessus outre et on s'étonnait, en concours, de perdre des points pour un cheval au pas étriqué. Est-elle si inutile, cette allure, que pour la laisser dans l'ombre et l'oubli ?

Il faut savoir que, pour le cheval, ce n'est pas naturel de s'incurver : il fait tout le contraire. Si tu regardes ton cheval galoper dans son pré, il aura son nez à l'extérieur quand il prendra son tournant. Mais pourtant, il existe une incurvation naturelle à ne pas dépasser : le cheval doit suivre le périmètre du cercle, il doit donc être droit dans son cercle. Tu ne peux pas admettre ce petit bout du nez qui vient vers moi, à l'intérieur comme ça. Essaie de tenir un peu plus sur ta rêne extérieure et n'oublie pas de rendre quand elle cède. Il faut que le cheval soit courbé harmonieusement, qu'il suive bien sa trajectoire depuis le bout du nez jusqu'aux hanches sans être tordu au milieu. Garde un contact moelleux sur tes rênes et sur tes jambes. Détends-toi, relâche les épaules et stabilise plus ton dos : tu dois avoir une légère rétroversion du bassin et jouer avec ton rein. C'est en se décontractant que tous les muscles se libèrent et sont prêts à t'écouter, à bouger correctement avec le cheval. Ca t'évitera aussi de marcher comme un cow-boy pendant trois jours, aussi. Ne serre pas tes jambes comme ça, descends légèrement le talon si ça peut t'aider, mais ne t'appuie pas dessus. Continue de jouer avec la main intérieure... là, là, tu sens cette décontraction dans sa bouche ? Continue ainsi, relâche encore tes jambes - elles sont trop contractées - et apprête-toi à rendre. Ne perds pas le rythme, surtout !

Il ne cessait jamais de parler et, tout en discutant, ne cessait jamais d'observer son élève. Lui-même, au fur et à mesure qu'il avançait dans la leçon, se mettait à marcher énormément, à faire des gestes, à se dépenser physiquement en explications. Rien que pour insister sur la trajectoire droite sur le cercle, il s'était mis lui-même dans cette incurvation comme s'il était devenu cheval ; de même, il avait plâné de sa main toutes les parties du corps qui devaient être en travail, et il avait désigné la position du bassin. Il pianotait énormément des doigts comme si, le simple fait de le faire lui-même pouvait aider Elena a le faire tout autant, comme s'il cédait lui-même Nirvana.
A ses explications, il ajouta également qu'il s'agissait du bassin qui contrôlait énormément l'allure du cheval ; que, avec les jambes, il était responsable de l'impulsion. A cet instant, il lui dit de rétrécir progressivement son cercle autour de lui en spirale : cela l'aiderait à rendre la jument ronde et à céder plus longtemps. Puis, quand elle eut réalisé deux ou trois cercles de dix mètres, il lui dit de reprendre le cercle de vingt mètres et qu'elle pouvait reprendre la piste en gardant cette même attitude.

Au fur et à mesure que James commençait à parler, Elena se sentait de plus en plus sereine. Ce silence gênant était passé, et le moniteur se révéla être un vrai moulin à parole. L'avantage, c'est qu'elle se sentait plus à l'aise, on sentait qu'il était à fond dans ce qu'il disait, il parlait avec animation, il avait vraiment l'air passionné. D'ailleurs, la jeune fille ne l'avait jamais vu comme ça. Mais l'inconvénient, c'est que dans ses flots de parole il faisait mille demandes à la fois, et qu'il était bien dur de tout exécuter en même temps...

Lena commença par redonner de l'impulsion à sa jument, elle serra les mollets et poussa légèrement avec son bassin. Nirvana releva un peu la tête et son pas se fit plus actif, ses foulées un peu moins rases, quoi que toujours étendues et peu relevées. La cavalière écoutait attentivement James, mais ses explications demandaient une concentration énorme. Ainsi, elle aimait bien son discours sur la décontraction du cheval, c'était bon à savoir. Tout en l'écoutant, elle massa sa rêne intérieure, et inexorablement, sa rêne extérieure se détendit. Elle s'en rendit compte et s'efforça de la retendre, mais elle s'était allongée. Elle la remit à une longueur acceptable et reprit, tout en continuant de masser l'autre rêne, la jambe intérieure au contact à la sangle.

Mais pourtant, le cercle commençait à se rétrécir très légèrement. Observateur, James lui dit de ne pas laisser le nez revenir trop vers l'intérieur... Bien sûr, la rêne extérieure était encore détendue. Elena avait le gros défaut de ne tenir qu'à moitié ses rênes, puisqu'elle avait toujours peur d'entraver les mouvements naturels de l'encolure. Résultat, ils lui filaient toujours entre les doigts, et elle ne pouvait plus faire grand chose avec. En l'occurrence, la rêne intérieure était encore à la bonne longueur, car elle travaillait essentiellement avec elle, et à côté de ça... elle retendit sa rêne extérieure, et se promit de ne pas trop ouvrir les doigts cette fois. Heureusement, Nirvana était coopérative, et ne chercha pas trop à fuir. Cet exercice n'était pas nouveau, mais tout de même, ça faisait longtemps qu'on ne lui avait pas demandé avec autant de minutie. Ca faisait aussi longtemps que Nirvana ne s'était pas incurvée parfaitement...

Et à côté de ça, il fallait qu'elle se détende. Elle le savait ça pourtant, qu'elle ne faisait rien de bon quand elle était tendue. Seulement, lorsqu'elle se détendait, ses épaules tombaient lamentablement : le tout était de se détendre dans une attitude juste. Elle redressa donc ses épaules qui étaient bien trop souvent recroquevillés, bien qu'un peu moins à cheval, mais tout de même. Rétroversion ? Mais bien sûr, il fallait qu'elle le cherche dans un dictionnaire une fois rentrée chez elle celui-là. Jouer avec ton rein... c'était où déjà les reins ? Dans le bas du dos... Ah oui, là où elle avait mal lorsqu'elle n'accompagnait pas bien. Focalisée sur ses mains et sur la décontraction de son buste, elle en avait oublié ses jambes. Elle obéit et descendit un peu ses talons, ah oui c'était un peu mieux. Elle était fière d'elle, ses rênes ne s'étaient plus détendues. Elle rendait doucement quand sa monture cédait, et reprenait lorsqu'elle relâchait. Elle réprima un sourire à l'évocation de la démarche de cow-boy de trois jours. Le dressage était si douloureux que ça ? Ses souvenirs autour de cette discipline étaient tellement vagues !

Seulement, Nirvana commença à se lasser un peu et ralentit un peu. James le vit avant même que Lena ne songe à y remédier, et elle lança un léger appel de langue qui suffit à redonner de l'activité à sa jument. Elle refit jouer son bassin, qu'elle avait quelque peu oublier. Elle se sentait tel un manche à balai sur son cheval, cependant, un manche à balai décontracté. Le cercle était plus petit qu'au début, et apparemment, Nirvana commençait à céder vraiment. Oui, elle le sentait, elle se pliait sans résistance maintenant. Elena rendit légèrement, tout en gardant la même position. Elle réajusta cependant un peu sa rêne extérieure, qui s'était tout de même moins détendue qu'au début. Son bassin continuait d'accompagner, ce qui empêchait sa jument de s'endormir sur ses lauriers. D'ailleurs, cette dernière avait les oreilles tournées vers Lena, signe de mécontentement ou d'écoute, elle n'en savait rien. Ce qu'elle savait en revanche, c'est que c'était l'attitude qu'elle prenait à chaque séance de dressage sérieuse, et qu'elle n'avait pas vu cette attitude sur sa monture depuis un bon bout de temps.

Le cercle se rétrécissait doucement, la cavalière fit encore trois tours en reprenant son cercle initial, et en se remettant sur la piste. Là, elle devait garder cette attitude, alors elle se fixa comme sur une vidéo, le bassin actif, les épaules redressées, les doigts tenant bien les rênes... Du coup, cette position fixe n'était pas tellement décontractante, elle se força à se détendre les jambes, en abaissant un peu ses talons, tout en les gardant au contact... Elle avait déjà légèrement mal au bras intérieur, elle se demanda jusqu'ou monterait la difficulté... Car jusqu'ici, rien n'était très compliqué, le plus dur était surtout de ne rien oublier, sinon le cheval ne gardait pas la bonne attitude. Elle ne s'était jamais doutée qu'une attitude juste était si difficile à adopter... Heureusement, Nirvana restait dans une bonne attitude, visiblement décontractée avec souplesse, cependant, Lena se disait que ça n'allait pas durer très longtemps. Elle se dit tout de même qu'il fallait qu'elle la garde le plus longtemps possible, et qu'elle écouterait attentivement les conseils de James. Car jusqu'ici, il n'était pas vraiment méchant, juste perfectionniste. Il était excellent dans ce qu'il faisait, mais même si la jeune fille ne marcherait pas en cow-boy pendant trois jours, elle avait la conviction qu'elle allait avoir de sérieuses courbatures...

La jument adoptait un bon placer et marchait moyennement bien : la trace de son antérieur n’était pas tout à fait recouverte par son sabot postérieur, mais on en était toujours à l’introduction de la leçon et l’Australien savait que certains chevaux, en dressage, avaient parfois tendance à traîner la patte en début de travail. De toute façon, James se doutait que Nirvana prendrait davantage d’ampleur en foulée lorsqu’elle aurait bien travaillé avant, quand ses muscles réchauffés pousseraient à la profondeur du mouvement : tout était une question de temps, et on ne pouvait exiger ce résultat dès l’aube d’une séance.
Outre son pas, Nirvana avait le chanfrein à la verticale et la nuque à hauteur de croupe ; elle avait bel et bien son dos arrondi qui suivait une trace imaginaire légèrement courbée. La hauteur de la nuque, elle aussi, viendrait avec le temps : non pas après une heure de travail, ni quelques séances, mais après un vrai entraînement régulier et sérieux qui, indéniablement, améliorerait l’ampleur des allures. Mais tout le monde n’était pas prêt à prendre autant de temps pour apprendre correctement le rassembler : il y a le dressage en tant que figures de spectacle, il y a le dressage en tant que travail de soi. Le premier était le plus connu : quand on a envie de pratiquer cette discipline, c’est pour montrer comme il est agréable de contempler un cheval marchant de côté et croisant les membres sans oublier celui qui tourne sur lui-même au galop comme une toupie au ralenti ; le second est celui qui vise au travail via la patience, dans le but d’avoir un cheval tellement puissant et souple qu’il est capable de reporter une majorité de son poids sur les hanches pour une élégante démonstration de communication aisée, de centaure danseur empreint de légèreté ; et même si, pour un seul cheval, on ne parvenait pas toujours à tout exécuter, le principal était le chemin emprunté que l’on avait tracé et qui avait permis d’élaborer un code, un sentiment, une fusion harmonieuse entre le cavalier et son cheval.

Evidemment, le cheval avait davantage tendance à s’étendre lorsqu’il avait quitté le cercle. Nirvana ouvrit légèrement l’encolure sur le long côté et James prévint Elena : elle ne devait pas relâcher cette rêne extérieure ni son impulsion, et elle devait toujours malaxer la rêne intérieure de ses doigts. Il la conseilla de changer aussi la façon de pianoter pour ne pas sombrer dans une ennuyeuse habitude – de modifier la vitesse, l’ordre des doigts qui jouent sur la rêne, de marquer parfois des courtes pauses d’une demi-seconde au moins. Pour l’impulsion, il répéta qu’il ne fallait pas éternellement coller ses mollets ni ses talons – ou pire encore, l’utilisation systématique et à chaque foulée de l’éperon – afin de ne pas blaser le cheval. Dans ce cas, on en venait à devoir exécuter un tas de leçon de jambe dont l’excès en devenait complètement inutile par la suite. Mieux valait, depuis le départ, procéder à une juste demande d’impulsion ou de changement d’allure : l’augmentation de la foulée dans le pas étant sollicitée alternativement par une ferme pression brève du mollet, de la jambe gauche quand l’épaule droite avance et vice versa jusqu’à ce que l’on obtienne l’engagement désiré ; tandis que, si le cheval reprenait une allure paresseuse, il fallait demander seulement à cet instant grâce à un aiguillon électrique du talon... tout en usant de fermeté et de volonté, non pas de brusqueries ou de violence.

Le cheval aura toujours tendance à s’économiser

c’est d’ailleurs pareil pour tous les êtres vivants mais à des degrés différents. Le cheval au travail essuiera donc plusieurs tentatives différentes jusqu’à ce qu’il découvre la technique qui fonctionnera. Ton rôle à toi, en tant que cavalière, sera de montrer que toute demande bien exécutée sera récompensée par un temps de repos : c’est pourquoi il ne faut jamais lésiner sur ces pauses rênes longues.

L’instructeur marqua une pause brève. Il songeait à toutes ces personnes qui, pour gagner un maximum de temps, ne laissaient qu’un ou deux temps de repos sur une heure de travail. Pire encore, il avait connu quelqu’un de Darwin qui exhibait fièrement ses talents de dresseur et qui invitait tous les cavaliers de concours à prendre des leçons chez lui – par curiosité, James y avait fait un tour une fois pour accompagner l’une de ses connaissances. Il effectuait des cours de dressage intensif durant une heure et demie, et l’ancien médaillé d’or à Perth en reprise libre avait eu l’horreur de ne compter que quatre pauses uniquement réparties sur les septante premières minutes ; et ce gars-là – il s’appelait Gartner, Sean Gartner, cet imbécile de type – se défendait alors en justifiant ces manques par de nombreux morceaux de sucre répartis durant la leçon comme récompenses. James se demandait bien ce que cet âne avait bien été capable d’apprendre aux jeunes recrues naïves qu’il embobinait sur les terrains de concours.
Alors, il eut justement l’idée d’un peu parler de la valeur d’une caresse durant un travail monté à Elena.

La caresse à l’encolure n’est pas une récompense – elle est un encouragement ou la confirmation d’un exercice bien fait. Mais pour en revenir à l’économie d’énergie du cheval, il ne faut surtout pas laisser le cheval gagner à l’une de ses tentatives : donc dès qu’il sort de son attitude, dès qu’il commet une ruse pour se soustraire à l’exercice, il faut le faire revenir impérativement à l’exercice de base. Là maintenant, bien que ce ne soit rien de bien vicieux ni de compliqué, tu ne dois pas laisser Nirvana ouvrir l’angle : tu ne le lui as pas demandé. Même si on peut dire que tu ne tenais pas assez sur ta rêne extérieure, elle doit aussi comprendre qu’elle a le droit de s’ouvrir uniquement quand tu lâches toutes tes rênes sinon elle recommencera à chaque descente de main que tu exécuteras. Maintenant, change de main par la prochaine diagonale et reprends un cercle de vingt mètres : on refait le même exercice pour bien assouplir l’autre côté aussi.

Après que son élève aura eu fini d’incurver son cheval sur le cercle de vingt mètres puis sur le petit et qu’elle aura repris piste large, bien que James la percevait toujours tendue à certains endroits, il lui demanderait une première épaule en dedans : l’exercice de base. Si Nirvana savait exécuter une cession à la jambe, cela signifiait qu’elle était capable de faire une épaule en dedans sur deux pistes au moins ; les difficultés devaient probablement résider dans la compréhension. En effet, cet exercice causait bien souvent davantage de problèmes que la cession à la jambe alors que cette dernière était théoriquement plus compliquée pour le cheval. Il ne manqua pas de retranscrire cette pensée à Elena pour qu’elle se dise en elle-même que l’exercice était simple même si elle avait rencontré des difficultés auparavant : il fallait, du mieux possible, toujours affronter les obstacles en ayant l’esprit détendu et le cœur léger.

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